Tout l'océan sur un riblet

À l'aube du nouveau continent : l'opéra du jour d'après



L’artiste dissident et la monstration : fidélité à la première coupe

propos / réflexion


janvier 2025

Introduction

L’artiste qui cherche à créer hors des structures établies affronte une double tension : celle de la doxa, qui façonne les cadres d’expression collectifs, et celle des structures primordiales, qui constituent un socle plus profond, quasi intemporel, auquel il est redevable. Si la doxa évolue, se conteste et se reformule, les structures primordiales, elles, sont déjà là, en amont, comme une mémoire souterraine qui façonne l’appel intérieur de l’artiste. La création devient alors un acte d’interface entre ces deux dimensions : un dialogue avec la doxa, mais sans trahir cette fidélité à la première coupe – celle qui a marqué la séparation initiale entre l’artiste et le donné du monde.

Une proximité subjective :
entre doxa et engagement artistique

L’illusion d’une proximité naturelle avec la doxa est souvent entretenue par l’idée que l’artiste, en phase avec son époque, en épouse spontanément les mouvements. Pourtant, cette proximité est d’abord un choix, une tension maintenue, et non une rectitude acquise. Elle implique un engagement intérieur à ne pas se trahir soi-même, à ne pas trahir l’authenticité des matériaux et des formes qui servent de fondation à l’œuvre. Ce rapport ne peut être réduit à une question d’adhésion ou de rejet : il s’agit d’un positionnement actif, qui consiste à faire de la doxa une matière de travail sans lui abandonner la mémoire de la première rupture.

L’opéra comme monstration d’un objet esthétique

a) Monstration et dérangement du réel : Créer, c’est faire surgir un objet qui dérange l’ordre du monde. L’œuvre est une excroissance qui altère la réalité, un monstre qui s’impose et qui force une recomposition du cosmos. Cette monstration n’est pas une simple mise en lumière : c’est l’exposition d’un corps nouveau qui entre en dialogue avec la doxa, en prolongeant ou en déformant ses contours.

b) L’Appel Intérieur et l’Appel de la Nature : L’appel intérieur, dans cette logique, est ce qui pousse l’artiste à répondre à une nécessité qui dépasse la contingence historique et sociale. L’appel de la nature, lui, est l’ancrage dans une origine qui persiste au-delà de la coupure initiale. Dans *Tout l’océan sur un riblet*, cet appel prend la forme de la gueule du requin blanc, figure du vagin denté et de la menace primordiale. Mais lorsqu’on aborde non plus l’œuvre elle-même, mais la démarche artistique, il peut être fécond d’introduire une autre image : celle de la *décapitation du placenta*. Il s’agit d’une coupure avec mère-nature, remplacée par mère-culture, sans pour autant anéantir l’appel de la nature. Ce dernier demeure, comme une voix qui rappelle que nous sommes issus de la chair et du sol, et que nous y retournerons.

c) Fidélité à la première coupe : Si la coupure placentaire marque un passage, elle n’est pas infiniment reproductible. Il ne s’agit pas de rompre sans cesse, mais d’être fidèle à cette première coupe qui a permis à l’artiste de se constituer. Dans *La Vulgate synoptique*, cette fidélité se matérialise dans les scènes 3 à 8, qui forment un véhicule cohérent porté par cette mémoire originelle. L’artiste dissident ne change pas de matrice à chaque difficulté : il assume les conséquences de sa rupture initiale et maintient son engagement dans le temps.

Conclusion

L’artiste dissident n’est pas celui qui s’éloigne aveuglément de la doxa, mais celui qui sait maintenir un dialogue sans se trahir. Il ne cherche pas la pureté d’un extérieur absolu, mais une fidélité à l’élan initial qui a donné naissance à son œuvre. Cette fidélité, loin d’être une inertie, est une tension active qui permet à l’art de ne pas être une succession d’actes isolés, mais une trajectoire, un corps en mouvement qui transforme le réel.

 


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