À l'aube du nouveau continent : l'opéra du jour d'après
Hantise et firmamentidéation de la scène 10mars 2025 |
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IntroductionL’opéra, en tant qu’objet esthétique, est un espace de hantise où les formes tragiques cherchent à s’incarner sans jamais se fixer. Dans la Vulgate synoptique, la scène 10 déploie une saturation du monde qui précède un acte final d’élévation : la boîte contenant Amérique insouciante est installée dans le firmament. Ce geste, à la fois triomphe et abdication, interroge la possibilité d’échapper aux récits cycliques et à la congestion des traumas. La figure de Térésa-Raffo (*), spectre d’une esthétique romantique et décadente, incarne cette ambiguïté : est-elle le signe d’une persistance irrémédiable du passé ou la promesse d’un dépassement ? Cet essai propose d’examiner la scène sous trois angles : la saturation tragique du monde, l’hantise de l’artiste face à son propre geste, et la bascule du regard qui transforme la scène en décision pour le spectateur. 1. L’horizon saturé : une congestion tragiqueLe dernier espace visible avant l’élévation de la boîte-opéra est un champ saturé : un territoire horizontal encombré de traumas, de forces anciennes enfouies et d’histoires que l’on croyait assimilées. Tout ce qui a été absorbé, occulté pour rendre le monde habitable, affleure en miasmes, fragments, reflets. Les violences passées, à force d’avoir été ignorées ou transformées en rumeurs, encombrent le sol d’une manière presque organique. Les figures tragiques invisibles, Jack l’Éventreur, la maison-potence, la gueule béante, sont les forces qui alimentent cette saturation. Elles sont les racines du contexte, mais ne s’imposent pas frontalement : elles résistent au spectaculaire, se maintiennent dans un arrière-plan insistant. Leur invisibilité est leur moyen de pression. L’opéra lui-même est pris dans cet étouffement : il menace d’être englouti par l’accumulation des spectres, de ne devenir qu’une strate de plus dans cette masse de répétitions non résolues. 2. La hantise de l’artiste : grandeur et absurditéTérésa-Raffo, fantôme d’une esthétique décadente et romantique, est une figure qui n’a jamais existé. Elle est une projection, un simulacre de souvenir que la scène 5 a laissé en suspens. Son évocation dans la scène 10 fonctionne comme un dernier vertige : une ironie tragique sur l’héroïsme de l’artiste. Celui qui ose prendre action, celui qui installe la boîte-opéra dans le firmament, est-il un héros ou un pantin pris dans un récit qui le dépasse ? L’hantise se manifeste sous une forme trouble, entre nostalgie et parodie. Est-ce une exaltation sublime, une dérive de l’ego artistique, une impuissance déguisée en geste définitif ? L’artiste, comme Térésa-Raffo, est un produit de l’imagination. Il prend place dans un espace où il ne contrôle plus rien. 3. L’ouverture du sol et la bascule du regardLe sol, saturé de traumas, s’ouvre : non pas comme une destruction, mais comme une manière de laisser le monde parler avant que la finale ne soit finale. C’est le moment cristallisant : le héros-librettiste place la boîte contenant Amérique insouciante dans le firmament. Cet acte est à la fois une tentative d’élévation et un abandon. La boîte n’est plus sur terre, elle devient l’étoile primitive de ce nouveau ciel. L’opéra bascule alors : n’étant plus un objet purement contemplatif, il exige de son public qu’il choisisse. La structure était-elle une poïesis (une simple création formelle) ou devient-elle une poétique, une force avec laquelle il faudra dorénavant composer ? Dans cette dernière permutation, la question posée est celle de la possession : pour posséder l’objet esthétique, pour posséder cette tranche de vie et d’action, le spectateur doit accepter l’horreur de Jack l’Éventreur. Il doit assumer la matière première invisible qui énergise ce monde. Il doit comprendre que vivre dans un monde tragique, ce n’est pas seulement y survivre, mais y cohabiter avec ce qui demeure inexprimé. La scène ne se ferme pas : elle dépasse son propre horizon et laisse le silence contenir tout ce que la parole n’a pas pu porter. ConclusionLa scène 10 de la Vulgate synoptique ne clôt pas, elle ouvre. L’opéra, au lieu de se résoudre en un triomphe clair ou une catharsis apaisante, s’installe dans un nouveau régime : celui d’une étoile suspendue entre mémoire et oubli. Térésa-Raffo, en tant que hantise, rappelle que toute élévation risque de reconduire l’ancien sous une nouvelle forme. Mais en offrant au spectateur le choix d’habiter cette ambiguïté, l’œuvre ne sombre pas dans la répétition stérile : elle devient un espace où la tragédie se pense non comme une fatalité, mais comme une structure avec laquelle il faut désormais composer. |
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Teresa-Raffo
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